HOMMAGE À LUCIEN

Un vin de caractère: la Tourtine 1981
Un vin de caractère: la Tourtine 1981

 

Cette bouteille aurait pu devenir un KIMAPLU.

J’ai préféré lui donner un caractère plus solennel.

 

Trois personnes ont réellement porté l’appellation Bandol, à laquelle je reste très attaché, sur les fonts baptismaux : le Suisse Roethlisberger, dont le Château Milhière a été transformé en lotissement à Sanary ; la Comtesse Portalis, étonnante douairière que j’ai eu la chance de rencontrer sur ses terres rouges de Saint-Cyr avant qu’elle ne s’en aille – nous dégustions alors des Pradeaux 1982 fantastiques de complexité et de suavité ; et Lucien Peyraud.

 

 

 

Achille Pascal faisait toujours référence aux choix du glorieux ancien tandis qu’il m’initiait aux arcanes de l’appellation. Je l’ai croisé, d’abord brièvement, puis une fois beaucoup plus longuement. Nous étions en cave avec Jean-Marie Peyraud lorsqu’il descendit – avec peine, on venait de l’opérer du genou ou de la hanche, je ne sais plus au juste – de l’escalier en coin et passa presque deux heures à commenter les cuvées que son fils sortait des foudres, alors qu’il ne participait plus que de loin à leur élaboration. J’ai appris plein de choses au cours de cette centaine de minutes.

 

La Tourtine a toujours été mon chouchou. Cette cuvée, du nom d’une parcelle achetée au début des années soixante, est sans doute la plus « acide » du domaine, la plus fine et la plus longue à se faire. J’ai aussi eu la chance de manger le grand aïoli là-bas, avec mon ami Xavier Vanderghinst et le Prof. Roland Bernard, cardiologue-humaniste bruxellois, qui pilotait un groupe de collègues nous accompagnant. C’est ici en effet que François Peyraud habite et sa femme avait eu la gentillesse de nous y accueillir et de cuisiner pour nous. On se situe en face du Château Romassan, la propriété de la famille Ott au Plan-du-Castellet (maintenant Roederer), sur le coteau ensoleillé qui monte au Castellet. Il s’agit d’argilo-calcaires datant du Santonien et le mourvèdre y domine. Actuellement, sa proportion dépasse 75 % mais je pense que dans les années ’80 on devait tourner autour de 65 à 70 %, avec du grenache en complément et un chouïa de cinsault.

 

Le Santonien (Crétacé) se reconnaît « aisément » par la présence de mollusques bivalves dans les sols, formant ce qu’on appelle parfois le Muschelkalk, le calcaire à astéries ou dolomitique. Il est courant à Bandol, et pas seulement sur la butte du Castellet.

 

Après un petit passage à vide (dissensions entre les générations pourtant riches en vignerons de talent et appauvrissement du Tempier « classique » suite à la multiplication des cuvées spéciales) après 1993, la venue de Daniel Ravier en 2000 (qui quittait les hauteurs de Signes) a remis les pendules à l’heure et Tempier brille à nouveau de tous ses feux, pour mon plus grand bonheur.

 

Mais ce 1981 était encore l’oeuvre de Lucien. Il s’agit d’un millésime jaloux à Bandol : il fallait cueillir très tard pour avoir des raisins mûrs et ne pas « tirer trop » sur les peaux pour que la surextraction ne rende pas les tannins amers, d’autant que les éraffloirs n’étaient pas monnaie courante en Provence à cette époque.

 

Pour le notre (niveau impeccable malgré un bouchon rétracté et sec), la robe avait bien entendu commencé à virer vers l’orangé mais sans trop pâlir et elle s’est remise à foncer à l’aération – mystère de l’influence des potentiels rédox sur la couleur. Le nez, légèrement volatil au début, a repris la direction du cuir et de l’empyreumatique après 10 minutes. Mais, surtout, l’attaque fine et un rien surette (c’est la Tourtine) en bouche précédait des tannins soyeux, serrés et encore vifs.

 

Je n’y peux rien, je craque pour ce type de mourvèdre, qu’on ne trouve pas à Châteauneuf, et hélas, pas non plus en Espagne. Richard Auther obtient parfois ces accents dans les schistes de Porquerolles aussi, mais je n’ai jamais dégusté de très vieux La Courtade.

 

 

Merci à toute la famille Peyraud pour les innombrables

moments de bonheur vinique qu’ils m’ont offert (chez eux)

ou vendus (en bouteille) depuis 25 ans.

Et pourvu que les 50 ares de mourvèdre que j’exploite depuis cette année puissent m’apporter le dixième de ces satisfactions :

cela fera de moi un homme heureux.

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0