DENIS L’A DIT

Extrait de “L’aile ou la cuisse » (© 1976 – Studiocanal Image)
Extrait de “L’aile ou la cuisse » (© 1976 – Studiocanal Image)

 

Denis, dont je vous ai déjà parlé, fut mon capitaine courageux d’un matin du côté de la Pointe des Vieilles, sur la frange sud de l’Île d’Yeu.

Il décrit dans les posts d'un blog ami une expérience de repas dans un « fast-food » en ces termes : « C’est pas manger, c’est vômir à l’envers ».

 

 

 

J’aime beaucoup sa description. Pour sa forme – mais pas du tout au niveau du signifié, comme disent les psychologues – elle me rappelle celle que je répétais à mes élèves du CERIA à chaque début d’année en parlant du vin qu’on déguste : « Avaler, c’est cracher vers l’intérieur ».

 

Mais le sujet de ce billet se veut plus sérieux : pourquoi ces établissements de restauration rapide ont-ils si mauvaise presse dans le milieu des amateurs de vin, souvent des gourmets aussi, alors que le public général les plébiscite ? Ils se multiplient en effet à l’infini, envahissant même des lieux historiques et des immeubles de style, comme à Narbonne, à Bruges, à Gand et sûrement plein d’autres endroits qui ne me viennent pas à l’esprit immédiatement.

 

J’ai déjà relaté sur ce blog ma dernière expérience – quasi forcée car j’étais au bord de l’hypoglycémie – dans un « Quick » de Claira. La précédente remontait à environ dix ans en arrière, sur le parking du Brico de Wavre. A mon goût personnel, les aliments proposés, que j’ai achetés sans qu’on m’y force, ne m’ont vraiment pas plu. Je leur reproche avant tout une texture spongieuse, un goût ne rappelant absolument pas les ingrédients de base, un excès de sucre et de sel, et l’abondance des dressings envahissants. Cela étant dit, cela s’avale, sans trop mâcher, et se digère très vite.

 

Je poserai en postulat que ce n’est pas bon.

 

Premier constat : cela suffirait à nous en détourner, nous, les défenseurs d’une alimentation savoureuse. Je ne parlerai pas de l’aspect nutritionnel, tant il est vrai que certains repas dont je me repais seraient également criticables sur ce point précis. Mais en plus, nous mettons tous un point d’honneur à « en rajouter une couche », comme si en outre la moralité était en jeu.

 

Deuxième constat : tous nos enfants, et avec eux des millions d’Européens, jeunes et moins jeunes, ont fréquenté ces lieux avec assiduité, y trouvant du plaisir. Les miens ont connu cette phase, mais ils s’en sont largement détournés, spontanément je pense.

 

Troisième constat : les fast-foods prolifèrent, et colonisent des lieux de plus en plus reculés et des agglomérations de plus en plus petites. Mais il en va de même pour les caravanes à pizzas bon marché, pour les kebabs de mauvaise qualité .... On voit même des gens qui vous vendent des pâtes en cornet à emporter.

 

On ne va pas se muer en sociologue, par incompétence. Mais il me semble que l’alimentation rejoint le même panier que toutes les activités qui nécessitent un petit effort d’approche, une initiation, un apprentissage : elles vont à vau-l’eau. La lecture « sérieuse » a reculé devant l’audio-visuel. Les sports très techniques perdent du terrain devant les disciplines qui ne nécessitent pas autant d’habileté et où les règles sont simples. La musique atteint des niveaux de banalité que même les peuplades les plus primitives n’ont pas connus.

 

Enfin, et c’est là que ma contribution du jour voulait en venir, la consommation du vin suit la même voie.

 

Je ne suis pas capable de vous offir une explication simple, même si je dispose d’une ou deux pistes. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une « paresse intellectuelle » des nouveaux consommateurs. Mais il peut y avoir un peu de paresse dans le chef des éducateurs, qui ne forment plus le goût à la complexité.

 

Surtout, je suis convaincu que c’est principalement le résultat d’une volonté délibérée de l’industrie agro-alimentaire et des politiciens. Ils veulent, à très court terme, la disparition des producteurs artisanaux, dans tous les produits de bouche, y compris au niveau de la restauration. Bien sûr, ils garderont quelques « privilégiés », issus de leur coterie ou inféodés, pour produire des denrées de toute grande classe, consommés par eux seuls dans des établissements de prestige où on se rend en hélicoptère ou bien en limousine discrète avec chauffeur. Le « bras armé » de l’agro-alimentaire, c’est bien entendu la grande distribution.

 

Je suis établi depuis 2005. Avant cela, il m’arrivait de constituer une « cagnotte » pour aller me taper la cloche dans un très bon restaurant .... ou bien je me faisais inviter. Quand on dépensait 3.000 FB par couvert, environ 500 FF, on avait formidablement bien mangé, vin compris. Pour un rien en plus, c’était le niveau des « 3 macarons ». Or, nous parlons de sommes inférieures à 100 euros par tête. Regardez ce qu’il faut compter comme budget pour s’attabler dans un 3 étoiles à présent !

 

Or, même ces établissements ont du mal à équilibrer leur situation financière. Ce ne sont pas les chefs ou les propiétaires qui réalisent des bénéfices plantureux : ce sont tous les éléments (matières premières, équipement, personnel, respect des normes ....) qui contribuent à l’élaboration d’un repas qui sont devenus hors prix, dès lors qu’ils sortent d’une production industrielle.

 

Au niveau domestique, on observe la même chose. La seule manière d’encore confectionner un festin à bon compte consiste à aller chercher tout en direct chez le producteur, ou presque. Il n’y a plus que là que l’on trouve des denrées de qualité – ou alors dans le commerce de détail de très grand luxe. Le citadin d’une grande agglomération n’a plus le temps matériel de le faire. Soit il renonce, soit il débourse une fortune.

 

Soumettez à une analyse critique ma suggestion :

c’est l’industrie agro-alimentaire qui organise la mal-bouffe.

Je pense que vous ne pourrez pas me contredire.

 

 

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Commentaires: 4
  • #1

    Denis Boireau (vendredi, 31 août 2012 11:42)

    Luc, quand tu dis "c'est l'industrie agro-alimentaire qui organise la mal-bouffe", tu as raison, mais tu laisses entendre que ce serait fait expres.
    Que nenni!
    Aucune vision, aucun dessein, aucune strategie dans l'agro-alimentaire ne decrete: "organisons la mal-bouffe".
    C'est un effet collateral de notre triste systeme capitaliste qui n'a de valeur que le profit financier (a court terme en plus!). Si notre systeme attribuait aussi une valeur reelle aux "profits" culturels, educatifs, ecologiques, ou humanistes au sens large, l'agro-alimentaire organiserait non plus la mail-bouffe mais bien plutot la bonne-bouffe.

  • #2

    Luc Charlier (vendredi, 31 août 2012 11:58)

    Je pense que tu as un petit peu tort ET parfaitement raison, Denis.
    L’agro-alimentaire elle-même n’organise rien du tout, c’est un fait. Elle voit où est le profit le plus immédiat. Mais les politiques (et les financiers qui les parrainent) mettent tout en oeuvre pour faciliter son implantation maximale et faire disparaître les alternatives. De même que l’enseignement public a été bradé – pour engranger des voix d’électeurs en créant des sinécures, en diminuant le niveau d’exigence et en satisfaisant tout le monde - cela a aussi permis à la caste qui envoie ses enfants dans les grandes écoles privées de leur offrir par là-même un « avantage éducatif » décisif. Même mécanisme qui associe « l’effet collatéral » comme tu le décris bien, et la volonté délibérée d’un autre groupe, objectivement allié même s’il n’y a pas eu de consultation systématique entre eux. Quand les ministres de Mitterrand voulaient « donner le bac à 86 % d’une classe d’âge », ils faisaient en fait un superbe cadeau aux gosses de riches, pas aux classes populaires.

  • #3

    Michel Smith (vendredi, 31 août 2012 14:50)

    Je pense effectivement qu'il s'agit bien là d'une stratégie politico financière pour éradiquer toute production artisanale au profit du capital : il n'y a qu'à voir le nombre incalculable d'enseignes Carrefour, pour ne citer qu'eux, qui s'implantent jusque dans les quartiers les plus miteux et aux abords des villages de moindre importance. Je ne vois qu'une solution : piquer un max dans ces rayons, ce qui se fait déjà en faible pourcentage, afin de mieux déstabiliser le système. Et si l'on est arrêté, se défendre avec un bon avocat en invoquant la tromperie sur la marchandise. Juste retour des choses, car j'en ai marre de me faire baiser...

  • #4

    Cadio (dimanche, 02 septembre 2012 13:39)

    Ce qui est largement perdu, c’est la culture du goût. Le goût pour le goût…Mon arrière grand-mère vivotait avec le minimum vieillesse et l’aide financière de ses enfants et petits-enfants. A l’époque ou le mercredi s’appelait encore jeudi je m’en allais déjeuner chez elle, une fois par semaine. Je portais ses paniers car nous nous en allions toutes les deux chez « le marchand ». Elle était plus pauvre que Job et pourtant, avec trois ou quatre pommes de terre, un oignon doux, quelques herbes et une noix de beurre, elle ne me servait pas qu’un plat, elle me donnait …un avant-goût du bonheur. Avec deux œufs, un peu de vanille et du lait frais (pas cette merde UHT qui remplit maintenant les rayons) elle me préparait une toute simple crème renversée et aux jours où elle disposait de deux ou trois pommes et d’un peu de vaillance, elle savait, pour me donner du plaisir, me préparer une tarte tatin dont je ne retrouve plus le goût que dans mes lointains souvenirs. Bref, je veux dire que même avec peu on peut faire bon. Ce qui se barre c’est la politique du goût. Je ne sais pas qui fait ou défait quoi, je sais que chez nous, qui sommes issus des petits peuples paysans et ouvriers, issus d’Italie, d’Ardèche, d’Auvergne, le goût est essentiel. Je préfère manger une tranche de jambon dans une morceau de baguette de qualité qui me donnera du plaisir plutôt qu’un homard américain de surcroît souvent mal cuit ou une langouste de Cuba qui n’a aucun goût.
    Chez Mc Do ce sont les enfants qui sont prescripteurs. Depuis Madame Dolto – paix à son âme – l’enfant est roi : il crache à la gueule de ses voisins, agresse ses camarades de classe quand il ne menace pas ses enseignants. A la maison, maman n’a pas le temps de laisser mijoter une daube, papa dit qu’il ne sait pas faire (quoique les mecs de nos jours, ceux qui en ont marre de Madame Findus, du cap’tain Igloo et de Madame Marie tentent de s’approprier les fourneaux avec un résultat certes assez inégal, mais qui part soit d’un bon sentiment à l’égard de leurs papilles soit de bonne volonté pour le fameux « partage des tâches »). Les enfants sont essentiellement grandis à l’aide de « petits pots » : sur le plan diététique c’est sans doute très bien ( ?). Pour la question du goût je signe : c’est absolument ignoble. Or on sait que le goût est un sens, qu’il n’est pas inné, et s’il ne se développe pas il meurt. Pour qu’il se développe il faut que la curiosité soit partie intégrante de l’éducation. Comme on apprend l’alphabet, les chiffres puis les nombres, comme on apprend à les composer pour faire des dissertations avec les premières et des factures avec les seconds… il faut avoir connu une grande diversité de saveurs pour savoir, tout simplement, bien manger. (NB : bien manger n’est pas la même chose que manger bien)

    Difficile de savoir qui a fait l’œuf et qui a fait la poule. Est-ce parce que le goût a foutu le camp que la GD a pu faire ses choux gras ou est-ce parce que la GD a envahi le marché que le goût a foutu le camp ?