UN ALBUM DIFFICILE

Après 10 ans de silence
Après 10 ans de silence

 

 

 

J’ai acquis cet album

il y a bien quinze jours.

Il m’a fallu une bonne

dizaine d’écoutes

et pas mal de recherches

pour le cerner.

On vous en livre

une vision émerveillée.

 

 

 

Je tiens Bowie pour une des influences primordiales depuis 1900 sur la musique qui nous entoure, au même titre qu’Astor Piazzola (le plus grand de tous), Shostakovitch, les Beatles, Miles Davis, Duke Ellington, Dylan, Jimi Hendrix et quelques autres.

 

Ce dernier album, où il se caricature, ou plus exactement se répète en accentuant le trait, me plaît énormément. Ce Cockney (Brixton, 1947) arrive à y juxtaposer créativité et nostalgie, démesure et maturité. Ses renvois continus au passé, à son passé, me replongent dans le mien. Je revois l’entame du concert au Forest National, avec les fumées de Warszawa ou de Station to Station, je revois le Glass Spider Tour, je revois le concert sur l’hippodrome d’Ostende pour la sortie de Heathen ....

 

Je vous offre maintenant un petit lexique pour « bien comprendre » cet opus de l’homme aux yeux vairons (en apparence car c’est en fait un effet d’optique, conséquence d’un traumatisme) :

 

Plage 1 : The Next Day

 

Avec ses guitares « à la Carlos Alomar » qui font suite à une intro saccadée (batterie plus synthé), les passages en duo ajoutent un relief à ce morceau « post-moderne ».

 

Lexique

gormless : voilà un adjectif typiquement britannique, peu usité Outre-Atlantique, et qu’on peut traduire par empoté

 

Plage 2 : Dirty Boys

 

Tout de suite, les accents rauques du sax bariton introduisent cette ballade, puis la voix “à la Ziggy” et les guitares destroy prennent le relais.

 

Lexique

Tobacco Road : est le titre d’un roman d’Erskine Cadwell, mais aussi d’un morceau d’Eric Burdon (Animals) ou des Jefferson Airplane. En France, JJ Goldman l’a repris.

Finchley Fair : fait partie du London Borough of Barnet, circonscription de Madame Thatcher. C’est un quartier résidentiel au nord de Charing Cross où existe un parc d’amusement pour les enfants

 

 

Plage 3: The Stars

 

Beaucoup plus pop, avec des uhuhuh « à la China Girl » et un narratif important, ce morceau aux longs chorus de synthé rappelle aussi « Fashion » etc... L’intérêt de Bowie pour les vedettes et le glamour transparaît.

 

Plage 4: Love is Lost

 

Grosse présence de la basse en intro, avec le moog en soutien (ambiance Warszawa) et puis cette voix chaude et rassurante de Bowie, qui camoufle son accent pour faire « higher class ». Oups, on adore !

 

Plage 5: Where Are we Now ?

 

Cette ballade à la voix douce, langoureuse, dans le genre « Prettiest Star », conjure le sort (voir fingers are crossed).

 

Lexique

. la Potsdamer Platz est connue pour la construction de la première gare de chemin de fer en Allemagne (1838), pour le mur de Berlin qui la coupait en deux et pour le concert de Roger Waters, allusion à « The Wall », en 1989. Elle fut originellement destinée à célébrer l’Edit de Potsdam qui s’opposait à la révocation de l’Edit de Nantes en 1685. Dans les années ’90, on y a ajouté un nombre important de bâtiments modernes de prestige.

. le Dschungel se situait sur l’emplacement du Femina-Palast des années folles, puis du Badewanne où se produisaient Count Basie, Dizzy Gillespie, Duke Ellington, Ella etc .... Bowie et Iggy Pop en avaient fait un lieu très « in », où les « videurs » étaient des femmes. Il a fermé ses portes en 1993.

. le KaDeWe (= Kaufhaus Des Westens) est le « grand magasin » le plus important d’Europe. Construit en 1907, détruit en 1943 par la chute d’un bombardier américain abattu par la DCA, il a été reconstruit en même temps que moi (1956). Il symbolisait l’ubris capitaliste aux yeux de la RDA.

. Bösebrücke (anciennement Hindenburgbrücke) : pont en acier de type « Eiffel », il fut le premier à permettre à nouveau le passage vers l’Ouest après la chute du mur.

 

 

Plage 6 : Valentine’s Day

 

Après une intro boum-boum-boum et des guitares nasillardes, la voix cajolante de Bowie nous charme, comme le ferait un amoureux.

 

 

Plage 7 : If You Can See Me

 

Un peu « à la Mombassa Night Flight », le narratif très saccadé de ce morceau présente des guitares qui font penser à Deep Purple aussi.

 

 

Plage 8 : I’d Rather Be High

 

Une entame très militaire, avec le snare (caisse claire) et un texte fouillé, plein d’allusions. J’ai dû bosser dur pour tout retrouver. Rappelle Pink Floyd et ses obsessions post ’40-45, ou même les Who de Quadrophenia .

Qui sont les « duckies » ?

 

Lexique

. Nabokov: on connaît le séjour berlinois de l’auteur russe et le Grünewald est l’endroit où il situe le suicide de Yasha dans « The Gift ». Clare (Quilty) est évidemment l’amant de sa Lolita.

. Lady Manners est une école privée très recherchée à Bakewell, dans le Derbyshire, qui se vante de ses excellents résultats. Je suppose que Bowie l’oppose à la vie « dissolue » des héros de Nabokov.

 

Plage 9 : Boss of Me

 

La guitare saccadée et la voix très douce pour un narratif presqu’incantatoire. Du Bowie pur jus.

 

 

Plage 10 : Dancing Out in Space

 

Intro prolongée (batterie et guitare) puis voix rythmée et “à la Dylan” voire même dans le style des Traveling Wilburys.

 

Lexique

Georges Rodenbach n’est pas un brasseur mais bien un symboliste belge. Il a écrit en 1891 un poème intitulé Le Règne du Silence, publié en 1905.

 

 

Plage 11 : How Does the Grass Grow ?

 

On croit entendre un “copié collé” du Repetition de Lodger (1991). J’avais eu du mal à entrer dans cet album à l’époque, mais je l’adore à présent. Très « Berlin ».

 

 

Plage 12 : Set the World on Fire

 

Intro sur un rif simple et répété et puis un texte important, avec des aspects « pop ». Morceau très inspiré.

 

Lexique

. Nombreuses allusions à la vie à Greenwich Village dans les années ’60 : Pete Seeger y a enregistré au Bitter End et au Gaslight, Joan Baez y avait rencontré Bobby (Dylan) au Gerde’s Folk City ; Phil Ochs était un auteur-compositeur très opposé à la guerre du Vietnam, d’où le rapport à Kennedy. Dave Van Ronk était un ami de Dylan et de Woody Guthrie ; il adorait le Tullamore Dew dans son pot en grès ....

 

 

Plage 13 : You Feel so Lonely you Could Die

 

Dans le genre “Life on Mars”, avec une voix très caressante.

 

Lexique

. Evidemment, le titre rappelle une ligne d’Elvis Presley (Heartbreak Hotel)

 

 

Plage 14 : Heat

 

On repart vers Station to Station comme ambiance, un côté Klaus Nomi en plus, avec des mediums splendides de Bowie pour suivre. On évoque Patti Smith aussi.

Mystère garanti.

 

Lexique

. Mishima’s dog: l’auteur japonais Yukio Mishima, suicidé par Seppuku, connu pour ses contradictions, dont l’un des caractères de roman suivait un chien errant

 

 

Vous l’aurez compris, j’ai adoré cet album,

après un petit effort initial.

Amateurs de Bowie, il faut l’écouter.

 

 

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Commentaires: 3
  • #1

    Berthomeau (dimanche, 31 mars 2013 15:21)

    Bonjour Luc,

    Je viens de mettre un lien avec ta chronique dans celle que j'avais dédiée à l'écoute libre du dernier Bowie. Bon dimanche

  • #2

    Luc Charlier (dimanche, 31 mars 2013 19:57)

    Oui, j'avais bien vu cette chronique. Le problème du son sur le net, c'est justement le son ! La technique MP3 est merdique.
    Pour m'exprimer de manière plus modérée: je n'apprécie pas le son MP3, auquel il manque plein d'harmoniques. En outre, les haut-parleurs branchés sur mon ordinateur ne valent pas tripette.

  • #3

    Centrifugal Juicer (jeudi, 25 avril 2013 05:12)

    This is a great blog post! Thank you for sharing with us!