A QUELQUE CHOSE MALHEUR EST BON

« Tail-ends » © Alison Russell
« Tail-ends » © Alison Russell

 

 

« Notre »

Chèvrerie des Chênes

vient de se

sauver des eaux.

Et Sigmund Freud a

raison sur toute la ligne.

 

 

 

 

 

Le fromage que Véronique et Alison élaborait était succulent mais la difficulté de mettre le laboratoire aux normes pour pouvoir livrer des revendeurs ou des restaurants – toujours changeantes et trop exigeantes à mes yeux – limitait les possibilités de vente au circuit court direct : à la propriété, dans les marchés régionaux ou par le biais des amap, vous savez le panier récurrent commandé d’avance et livré à intervalle régulier.

 

Or, les marchés voient leur fréquentation diminuer et, surtout, le budget global de chaque acheteur a chuté de manière importante suite à la crise. Comme un bon chèvre est délicieux, mais comme on peut aussi s’en passer ou se rabattre sur des fromages moins chers à produire, il devient de plus en plus difficile de faire tourner une exploitation de ce type. Ou alors il faut passer à la taille semi-industrielle, ce qui n’était nullement l’intention de nos demoiselles.  

 

Quand la vie devient plus contraignante et que le temps commence à user les sentiments qui lient les êtres humains, certaines frictions apparaissent et Christine et moi les avions ressenties, alors que nous deux amies les minimisaient.

 

Cet hiver, un nouveau bouc avait été mis au travail pour renouveler le sang du cheptel. Il a fait preuve d’une activité enthousiaste. Le troupeau avait en effet été repris vieillissant et le rajeunissement annuel nécessaire ne suffisait plus à maintenir la productivité, d’autant que les conditions de production du fourrage – l’exploitation est certifiée bio – des deux dernières années avaient été difficiles à cause de la météo. Enfin, les compléments bio sont de plus en plus chers.

 

Or donc, la période sans lait touchant à sa fin, j’attendais des nouvelles des chevreaux. Ils ne sont pas venus ! Comment est-ce possible, me direz-vous ?

 

N’allez pas trop vite en besogne. Alison a l’expérience d’un stage prolongé à la chèvrerie coopérative d’Alken en Belgique, où elle avait d’ailleurs rencontré le fils du Professeur Col (Soins Intensifs, Hôpital St Luc à Woluwé) qui a fondé depuis la Ferme de la Baillerie à Bousval. On y élevait des grandes chèvres blanches de race Sahnen.

 

Après son BPREA à Rivesaltes, et un stage chez la meilleure chèvrière du département (Annie Pic), elle avait émigré à Vaour dans le Tarn, chez les sympathiques Léonore Strauch et Mao. Elle a aussi opéré sur les terres d’Effi, la Suissesse installée à la chèvrerie de Campagne d’Armagnac, déjà avec l’aide de Véronique et pour assez longtemps, avant de créer avec celle-ci l’association qui a repris les installations d’Annette à Bonnanech. Mon ordre chronologique est peut-être un peu erratique mais à chaque fois, le fromage avait été délicieux, et à chaque fois, les chèvres ont mis bas.

 

Moi, j’ai vu le troupeau au début avril – ou était-ce fin mars ? – alors que le doute commençait à s’insinuer et, devant les ventres bien ronds des biquettes, je pensais que le nouveau bouc avait certes mis un peu longtemps à se faire accepter par ses nombreuses compagnes mais que « cela allait venir ». Mon expérience personnelle se limite il est vrai à l’espèce humaine et aux équidés, ainsi qu’aux mammifères de compagnie. La visite d’un vétérinaire, les tests sanguins ou une échographie, sans remboursement par la Sécu, ne sont pas envisageables pour ce type d’exploitation n’entrant pas dans le circuit de l’industrie agro-alimentaire que je dénonce chaque jour.

 

Finalement, de guerre lasses (féminin pluriel, j’ose l’accord), les « filles » ont pu faire appel à un technicien officiel dont la sonde échographique a confirmé les craintes : en dehors de deux d’entre elles, qui ont établi la non-stérilité du bouc ou alors je n’ai rien compris, aucune des chèvres saillies n’a été imprégnée.

 

Devant cette situation, un grand conseil de guerre s’est tenu. On pouvait essayer d’acheter du lait ailleurs, mais cela n’entre pas dans la philosophie maison. On pouvait sauter une année mais entretenir un troupeau non-productif pendant 9 ou 10 mois était financièrement impossible. On pouvait racheter d’emblée un nombre important de chèvres similaires et ... où, avec quel financement et quelles garanties ?

 

Une solution a émergé presque d’elle-même. Véronique a préféré chercher un emploi ailleurs, qu’elle a trouvé, et Alison continue seule. Je devrais dire « recommence » seule. Elle a acquis un nombre plus réduit de chèvres, de race alpine également mais légèrement plus productrices, et plus jeunes. Elle va ainsi pouvoir les nourrir plus facilement avec le fruit du domaine et ses parcours. Elle complètera le troupeau progressivement, en fonction de la demande. En outre, elle n’a plus qu’une bouche (humaine) à nourrir.

 

Je crois qu’il faut saluer son obstination et son courage.

 

La bonne nouvelle, vous l’avez sur l’illustration qu’elle m’a envoyée : voilà les pis de ces dames, le jour-même de leur arrivée. Boû-dieeee : quelle outre ! Il paraît que le premier caillé sent très bon, mais elle trouvait le « nouveau lait » différent de son ancien. Je lui fais entièrement confiance pour le frometon : il sera sûrement aussi délicieux que tous les autres qu’elle a élaborés. Elle est sûrement plus fine fromagère que ... sage-femme. En outre, les biquettes vont profiter des spécificités de ses pâtures et de son foin .... ainsi que des luzernes des champs voisins. C’est ça, l’effet terroir.

 

Ma conclusion : le bouc, peu expérimenté, a mal fait son travail.

C’est un fait. Mais des mesures correctives auraient pu être prises

si les éléments de suspicion avaient sonné une alarme plus écoutée.

Je pense sincèrement qu’il s’agit d’une Fehlleistung

caractérisée dans le chef de nos deux amies.

 

 

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Commentaires: 3
  • #1

    alison (dimanche, 02 juin 2013 17:23)

    une correction importante:
    "Une solution a émergé presque d’elle-même"
    "saluer son obstination et son courage. "

    its not that simple.

    Si le retournement de situation reussit - on le saura d'ici quelques semaines -, ce sera grâce à l'aide morale, physique et financière d'une partie de mon entourage: ami-e-s, fans de fromage, collègues...
    Bcp de personnes ont donné de leur temps, de leur sueur et de leur savoir-faire... rien n'aurait été possible sans ce réseau de solidarité.

  • #2

    Luc Charlier (dimanche, 02 juin 2013 17:59)

    Merci de cette précision, Alison.
    « You’ll get by ... with a little help from your friends !”

  • #3

    Patou (lundi, 03 juin 2013 09:08)

    Go for it,Alison !!