ET SI ON CARIGNANAIT ?

Russ & Michel & the brooms all over the place
Russ & Michel & the brooms all over the place

 

 

Le Forgeron,

de la tribu de Dana,

et un ami à lui, Russ,

d’une tribu anglo-irlandaise

émigrée Outre-Atlantique,

m’ont rendu visite.

On a dégusté des carignans.

 

 

 

Je vous ai déjà parlé de Michel Smith. Cet ancien chroniqueur oenologique en

semi-retraite (voir son blog) mais pas en semi-remorque est un amateur de carignan. Il s’est fait accompagner d’un ami étatsunien, qui a vinifié dans l’Oregon (du pinot bien sûr) et fait accessoirement du wine-scouting en France pour quelques marchands de vins de la côte ouest.

 

Nous sommes montés à la vigne de la Loute et non pas « comme des ânes ». Une fois là-haut, je ne suis pas arrivé à faire lever le menton à notre ami Michel pour que son noble faciès – barbe qu’il laisse pousser et scalp rasé au plus près par contre – apparaisse en pleine lumière et dans toute sa splendeur. On appelle cela shame and shade en psycho-photographie, un peu comme le chiaroscuro en peinture. Notre Smith m’apparaît comme un mélange du Caravage, de Rembrandt van Rijn et de Carl Gustav Jung.

 

J’ai immortalisé cet instant : Monsieur Carignan au sommet du carignan ultime, avec Estagel, le Capcir et le sommet du Carlit en toile de fond.

 

Une fois rentrés au bercail, de plat en plat pour terminer sur quelques fromages (oui oui) et le « savarin à Christine », improprement appelé baba aux cerises, c’est toute la lithanie des vieux carignans du Domaine de la Coume Majou que nous avons survolée. C’était la première fois de ma vie que je me livrais à cet exercice, et en plus devant les palais critiques de ces messieurs. Toutes les bouteilles sortaient du fond du frigo et je ne l’ai pas décantées.

 

En 2005, sans doute car les spores siégeaient dans le bois, j’ai été rattrapé par l’oïdium, rançon à payer pour un néo-vigneron. Je n’ai pas vendangé cette parcelle moi-même et ses raisins, coupés par une relation lointaine qui en voulait, ont fini leur carrière dans une cuve de vinification de la région. No comment.

 

En 2006, le jus de cette vigne m’a donné un vin tellement velouté et complexe en arômes que je l’ai ajouté en totalité à la cuvée phare du domaine, la Cuvée du Casot. Aujourd’hui, ce vin présente une robe carmin qui commence à s’éclaircir un peu, un nez de griottes, de garrigue (thym, goudron, réglisse, fumée) et d’eucalyptus discret et est tout en rondeur en bouche, avec une finale bien assouplie et une rétro-olfaction riche, persistante et très agréable.

 

En 2007, c’est là que je me suis rendu compte de tout le potentiel de cette parcelle. J’en ai intégré au Casot mais ai conservé la majeure partie pour créer

La Loute de Coume Majou, 100 % carignan de 1922. Le vin reste très sombre, avec un nez bien ouvert sur le fruit rouge et un rien de violette. En bouche, une attaque un rien surette encore – la fraîcheur du carignan – mais beaucoup de volume et des tannins très feutrés, très élégants. Heureux celui qui en possède encore dans sa cave.

 

En 2008, même chose et nous avons gardé ce jus entièrement pour la Loute. La bouteille est encore un peu fermée mais s’inscrit dans la droite ligne du 2007.

 

En 2009, la sécheresse s’est faite implacable chez nous et j’ai récolté ... 300 litres de vin (sur un bon demi-hectare de vigne). Il est entré intégralement dans la composition du Casot, le meilleur vin élaboré au domaine depuis sa création d’après moi. Il faudra l’attendre encore.

 

NB : C’est cette bouteille que j’ai présentée à la sélection du Guide Hachette cette année. Le verdict sera connu en septembre. Je serai très déçu si elle n’y figure pas honorablement mais c’est le jeu. Il arrive qu’un très bon vin « passe au travers » si les trois jurés qui l’ont à leur table ne « flashent » pas. Ce fut le cas avec tous mes 2007, le seul millésime jusqu’à présent où aucun de mes vins n’a été sélectionné. Tant pis.

 

En 2010, la grêle est venue perturber mes plans et il n’y a pas eu de Casot. Par contre, dans la petite combe voisine de la Coume Majou, le Rec d’en Cruels, je possède une autre vignette de carignan sur schiste brun, plantée en 1950, qui a magnifiquement mûri. Je l’ai assemblée à « la vigne de la Loute » pour obtenir un vin un peu plus léger en alcool cette fois (tout juste sous les 14 vol %) mais très délicat et avec des tannins d’une grande finesse. Cette bouteille présente un profil un peu différent des autres, d’une grande élégance. Il faut dire que j’ai fait, pour la première sur mes carignans, un essai de macération pré-fermentaire à froid qui fut très concluant. J’ai inclus cette approche à toutes mes vinifications en rouge depuis lors. C’est ce flacon que nous proposons à la vente au domaine et en Belgique, bien que certains restaurateurs de Christine disposent déjà du suivant, à leur demande.

 

Et voilà le 2011 : la Loute, la vraie, fêtait ses 20 ans et la nature a été généreuse dans la qualité de ce millésime. J’ai pu assembler mes carignans « traditionnels » et un petit peu de ceux du lieu-dit Le Roc Blanc, un enfer de soleil sur les hauteurs entre Estagel et Montner. Le résultat est, d’après moi, exceptionnel : une couleur noir-noir-noir, un nez de goudron, de cerise noire, de réglisse, de pruneau, d’encre de Chine et un rien giboyeux à la fois. En bouche, une onctuosité impressionnante, un côté crémeux et des tannins d’une grande suavité. En quelques semaines de promotion, une dizaine de restaurants étoilés du sud de la France nous en ont commandé. Malheureusement, il n’en existe que quelques centaines de cols. Nous avons aussi inauguré le bouchage en verre sur cette cuvée de prestige.

Lisez ICI ce que M. V. Pousson en pense.

 

Enfin, j’ai tiré quelques décilitres de la Loute 2012 de la cuve où elle termine pour le moment sa fermentation malo-lactique (échantillon à prélever ce lundi). Il y en a très peu mais, au-delà d’un nez très réduit - ce qui est normal pour un vin encore sur ses lies et en outre bourré du gaz carbonique produit par ces braves petites bactéries lactiques qui dégradent avec courage l’acide malique – elle offre des tannins d’une grande souplesse et pas mal de rondeur en bouche. On verra après la mise.

 

Je pense que mes visiteurs ont été conquis

par cette parcelle à l’âge avancé.

Moi, en tout cas, j’ai adoré l’exercice

de cette dégustation verticale.

 

 

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Michel Smith (vendredi, 14 juin 2013 23:30)

    Léon, ce fut une journée mémorable ! Grand merci à Christine et à toi pour ces bons moments !