UNE FORME D’ÉPÎTRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chère mademoiselle Nothomb,

 

 

 

Je suis obèse. Oh, pas ce tas de gras que l’on gagne en servant dans l’armée de G.W. Bush. Non, plutôt la graisse de couverture – comme si c’était du Valrhona ou du Marcolini, vous me comprenez – que confère une gourmandise tenace lorsqu’un diabète bien installé vous entortille les chylomicrons. Pourtant, j’ai perdu dix kilos depuis que je « fais vigneron », comme d’autres font comédiens.

 

J’ai sauté – on dit « zappé » à présent – quelques ouvrages de votre bibliographie, au tournant de cette décade. Les raisons en sont multiples, mais je souhaite conserver un format réduit à cette lettre : pas plus de deux pages A4, recto-verso de préférence. Disons que j’avais d’autres chattes à fouetter. Oui, chattes : en cette péridode de féminisme exacerbé, auquel j’adhère, soit dit en passant, je ne vois pas pourquoi ce sont toujours les matous qui doivent pâtir. Je crois qu’on peut tout dire et encore plus se moquer de tout, littéralement de tout. Mais on ne peut pas tout faire, loin de là. Je suis le Proudhon, le Bakounine ou le Thoreau du verbe, mais une sorte de Spinoza de l’acte, toute modestie bue, bien sûr : eux ont pensé la doctrine, je ne fais que la plagier.

 

Or, de passage chez Torcatis, un des rares libraires de Perpignan survivant aux exactions de la Fnac et de la grande shitstribution, où j’ai eu le plaisir d’échanger quelques mots avec vous l’an dernier, je me suis avisé de combler la petite lacune sur le rayon de ma bibliothèque. En « poche » bien sûr car la vigne ne nourrit guère son homme pour le moment.

 

Cette rencontre avait bouleversé ma vie. Non, là j’en fais trop (emphasis). Cette rencontré a été grave trop (understatement). Là, c’est indigne de moi. En fait, j’ai longtemps pensé que le refus – affiché – de l’informatique relevait chez vous de la posture, même si je vous ai crue d’emblée lorsque vous prétendiez composer vos textes à la main, sans avoir recours à un clavier. Simenon ne rendait-il pas des manuscrits quasiment sans rature ? Je ne mets jamais de pluriel après « sans », sauf quand la préposition introduit un mot qui n’existe qu’au pluriel ou qui va obligatoirement par deux ou plus (des chaussures par exemple). Mais Flaubert, le plus grand parmi les prosateurs français à mes yeux, suait sang et eau (sans et os ?) sur ses copies, par contre. Ainsi, même si l’effort de devoir adresser votre courrier à l’éditeur me coûte un timbre, le plaisir de vous envoyer un petit mot compense  largement ce désagrément. Vous voyez, au-delà du cuistre que je suis se cache aussi un radin et un fayot. Alain Leygnier, qui en sait long sur le sujet, l’a d’ailleurs très bien relevé.

 

Mais, venons-en au fait, car le nombre de signes augmente au compteur tandis que je me fais conteur. Je sais que la critique vous a un peu éreintée sur ce coup-ci. Qui se soucie d’elle, fors Albin Michel et ses actionnaires ? Moi, j’ai pris un vif plaisir à parcourir cet « échange lettres, sur du papier jauni », comme le chante Maxime. Il faut dire que, alité hier (une grippette de courte durée qui m’a coupé le souffle de belle manière) et ne pouvant guère bouger à cause des courbatures, j’ai alterné la lecture de Gabriel Garcia Màrquez, de Lydie Salvayre et d’Amélie Nothomb. D’ordinaire, « j’utilise » trois livres en même temps, mais jamais plus d’un roman à la fois. Ici, impossible de me concentrer sur autre chose que de la fiction. Je dois vous faire un compliment : c’est votre opus que j’ai fini en premier, longtemps avant les deux autres. En même temps, il comptait beaucoup moins de pages !

 

J’épingle quelques citations, après avoir avoué chemin faisant que je n’ai jamais rien lu de Truman Capote :

- « Pensez à l’oeuvre, qui est pour l’artiste la seule raison d’être ». On reviendra là-dessus.

- « ... le plaisir aigu d’un Robinson Crusoë lorsqu’il rencontre Vendredi. ». Avez-vous lu Foe de Coetzee ? Dans le cas de figure extraordinaire où cette merveille vous aurait échappé, jetez-vous dessus, et tous les jours de la semaine deviendront pour vous celui du poisson.

 

Mes amis, et certains de mes détracteurs – ils sont immensément plus nombreux – m’incitent à écrire quelque chose de plus « sérieux » que des billets de blog. Il paraît que j’ai une plume qui vole bien au vent. C’est faux : je m’applique, me souvenant sans cesse du bon Gustave et gardant à l’oreille le rythme parfait de son entame punique : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar ». Voilà sans doute la plus belle phrase, et la plus complète, de toute la prose jamais écrite en français. Mais, et là réside le hic, je n’ai rien à dire, aucune imagination et la crainte du ridicule. Vous m’avez aidé énormément : et si j’essayais de simplement commenter – ça, j’en suis capable – ce qu’un autre m’écrit, un peu comme votre grand-père ?

 

Reste le deuxième écueil, que vous évoquiez (voir plus haut) : je ne suis pas un artiste dans l’âme et trouve même un peu de vanité et un incommensurable égoïsme à tous ceux qui prétendent l’être. Jimmy Hendrix était un artiste sans le savoir, ou Janis Joplin, tandis que Patti Smith – dont j’admire le talent, lyrique autant qu’épistolaire ou graphique – m’irrite avec ses prétentions, même si je l’écoute et la lis avec délectation. Faut-il mourir – jeune de préférence – pour être un artiste ? Belle question.

 

Voilà, chère mademoiselle Nothomb, je ne vous demande rien,

même pas « pour attirer votre attention ».

Vous m’avez offert quelques heures de bonne lecture de plus 

(si on cumule vos pages et celles de vos confères sur ma table de chevet),

un joli petit blog du jour et ... une idée de bouqin.

Qui m’écrit à présent pour me fournir matière à développement ?

Même un mail fera l’affaire.

 

 

 

 

Références : Une forme de vie, par A. Nothomb

                   Chez Albin Michel (2010)

 

 

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