ON REMET LE COUVERT

Xavier & Christelle Vanheule (Bressieux)
Xavier & Christelle Vanheule (Bressieux)

 

 

 

A la Coume Majou,

qu’elle soit en chocolat

ou bien « du Périgord »,

on aime la truffe.

 

 

 

 

 

Les appellations d’origine – et donc une certaine idée de la propriété intellectuelle – me laissent toujours une impression mitigée. A l’inverse, certains objets, comme le « Laguiole » en parlant du couteau, ou certains aliments, comme la truffe « du Périgord », qui ne sont pas protégés par un label reconnu, permettent toutes les interprétations et toutes les tromperies.

 

Dans le cas du Laguiole, la situation frise le ridicule. La plupart des modèles vendus sous ce nom ne sont pas fabriqués sur place, aucune pièce ! A ma connaissance, il existe un nombre de couteliers – très compétents d’ailleurs – dans le village aveyronnais qui assemblent leurs couteaux de manière artisanale, mais au départ de pièces fabriquées en grande série ailleurs. Parfois, c’est dans les environs de Thiers. Parfois, c’est au bord du Yang-Tsé ou du Gange.

Il reste, à ce que je sache, deux vraies forges en activité sur place : celle de la Coutellerie de Laguiole, appartenant à la famille Durand, et qui produit une part très importante (mais pas la totalité à 100 %) de leur marchandise et celle de la Forge de Laguiole – vous savez, avec Sonia Rykiel – qui continue de produire une certaine partie de ses pièces aussi, notamment pour son haut de gamme. Donc, à moins de vous fournir chez eux, en achetant un « couteau Laguiole » vous êtes quasiment sûr d’acquérir un ersatz. Parfois, le produit sera d’excellente qualité ; ça, c’est une autre histoire. Il y a là une victime commerciale : l’ensemble des vrais artisans de Laguiole, qu’ils soient forgerons-assembleurs-couteliers comme les deux que j’ai cités ou simplement couteliers artisanaux. Et il y a des millions de dupes : les clients.

 

Pour la truffe dite du Périgord, c’est environ l’inverse qui se produit. Ce qui fait la renommée du tubercule, ce n’est pas qu’il soit originaire du Périgord, on s’en fout. C’est surtout le type de truffe, son espèce en fait. Eh oui, j’ai bien dit « espèce » au sens taxonomique du terme.

 

Et ici, Léon ramène sa science, avec l’aide des lexiques.

Celle qu’on appelle « du Périgord », mais aussi parfois du Tricastin (chic, merci EDF de l’aider à pousser) ou de Provence, c’est en fait Tuber melanosporum Vitt(adini). Elle aime les sols calcaires et une certaine chaleur. Sa maturité s’étale plutôt de novembre à mars et elle pousse volontiers au pied du chêne (vert ou blanc), du tilleul, du frêne, du charme ... C’est au pied du Ventoux et dans le Tricastin qu’il s’en produit le plus pour la France, apparemment. Apparemment car c’est surtout sous le manteau que tout se passe et il est difficile d’établir une statistique fiable. Pour les autres pays, elle est endémique en Espagne et en Italie, ainsi qu’au Maroc, en Croatie et en Slovénie. Un certain snobisme l’entoure, qui veut qu’elle serait la « Reine des truffes », pour la noire en tout cas.

Sa cousine, Tuber brumale Vitt., appelée truffe musquée à cause de son odeur un peu plus sauvage et poivrée, partage à peu près le même biotope et est recherchée également.

Ensuite, on passe à une truffe d’été (mai-septembre), mais noire aussi : T. aestivum Vitt. Son goût est moins prononcé, subtil diront certains, banal pour d’autres. C’est un peu le parent pauvre.

Ensuite viennent deux variétés plus rares, qui ont leur intérêt propre néanmoins : la truffe de Bourgogne, T. uncinatum Chatin, qui pousse dans l’est de la France, et la truffe de Lorraine (ou « mésentérique »), T. mesentericum Vitt. Elles ont d’autres périodes de croissance, d’autres types de sol et d’autres arbres de prédilection pour développer leur rhizome.

Notez que « Vitt. » signifie que le botaniste italien Carlo Vittadini en fut « l’inventeur » dans la systématique, tandis que « Chatin » désigne Gaspard Adolphe Chatin, né près de Tullins.

 

Puis, la vraie merveille, appelée parfois truffe d’Alba, est T. magnatum, la truffe blanche qu’on trouve bien entendu dans les Langhes piémontaises, mais aussi en Istrie et en Croatie. Son goût est légèrement plus aillé et les Français feignent d’ignorer ses mérites. Dame, elle ne pousse pas chez eux !

 

Enfin, vous avez les « truffes chinoises », qu’on trouve pour quelques euros en GD, emballées par 3 ou 4 : T. himalayense, T. indicum ou T. sinense. Elles n’ont strictement aucun goût, mais leur texture est similaire. Si vous « trichez » en arrosant copieusement vos sauces ou vos assaisonnements d’une huile parfumée à la truffe – il  y en a de bonnes – vous obtenez un succédané qui ne trompera pas un gastronome mais cela peut être « sympa ». Et si c’est pour « snober » des ignares à peu de frais, ça marche !

 

Bon, je vous ai parlé récemment du menu truffe de Pierre-Louis Marin, mon voisin roussillonnais, et je vous ai aussi parlé de l’Auberge du Château, à Bressieux au-dessus du Chambaran. Xavier Vanheule et son épouse Christèle (au tire-bouchon) y proposent leur version de menu à la truffe jusqu’au 2 mars. Et comme la pluie ne m’avait pas permis de prendre pour vous une photo du restaurant « en extérieur » lors de nos passages, j’ai obtenu des propriétaires un cliché d’un niveau professionnel pour me racheter.

 

Il fait un temps désagréable sur le Ribéral, vent et crachin mais chaleur moite (plus de 15 °C). Christine est fiévreuse et moi perclus de courbatures. Notre rosé et notre blanc attendent d’être levés de colle (un tout petit peu d’ichtyocolle* « pour la limpidité ») avant leur mise. La période n’est pas aux dépenses somptuaires et il n’y a pas de truffe a la casa.  

 

Je vous laisse sur ce constat :

il faut maintenant que je réfléchisse

au côté périlleux de notre situation alimentaire.

 

 

 

PS : l’ichtyocolle, sans doute le produit « collant » le plus fin et le moins invasif utilisé en oenologie, provient généralement de la vessie natatoire des esturgeons. Certains le jugent inefficace par son manque de « mordant ». Moi, je m’en sers depuis le début pour mes vins blancs et rosés, juste avant leur mise (avec filtration). Il ne « déshabille » pas le vin, ne lui enlève ni son gras ni ses arômes. Il possède un inconvénient : à l’heure où on se méfie de plus en plus des matières d’origine animale, c’est effectivement un habitant des fleuves et des mers qui en est la source. 

 

 

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