PAS QUATRE PAPES MAIS DU SAINT-JULIEN

La platée du tailleur de vigne
La platée du tailleur de vigne

 

 

 

 

 

 

Un vin d'un autre âge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans les années '80, le Bordelais possédait encore un petit avantage sur les autres régions productrices de vin rouge d'Europe : les oenologues attachés aux domaines. Lors des bonnes années, ils ont une utilité très réduite. Par contre, lorsque les raisins sont insuffisamment mûrs ou malsains, ce qui arrive fréquemment dans ces contrées du nord, leurs conseils et leurs poudres de perlimpinpin viennent au secours de la nature. Enfin, les belles forêts de France, en Limousin, dans l'Allier, dans les Vosges .... fournissent les lactones, les dérivés phénolés et les produits dérivés du furfural qui permettent de "refaire une beauté" à certains crus.

 

Jusqu'en 1986 (et encore un peu en 1988), je rentrais régulièrement des vins du Médoc et de la rive droite, ainsi que quelques Graves, dans ma cave d'amateur de vin. Ce qui en a sonné le glas à tout jamais fut l'arrivée des machines à osmose inverse, et notamment du côté de Léoville. Pensez, je les maniais toute la journée dans les centres de dialyse depuis dix ans, ce n'était donc pas pour les retrouver dans mes bibines favorites.

 

En outre, mon frère unique et préféré avait suivi un stage de formation chez un maître hennuyer, brave homme et bon vivant. Il ne jurait que par le Saint-Julien. A l'exception de Ducru, trop cher même à l'époque et qui nous plaisait moins, la litanie des Beychevelle, Branaire, Glana, Gloria, Gruaud, La Bridane, Lagrange (un des premiers à devenir "asiatique"), Lalande, Langoa, Léoville (au pluriel), Saint-Pierre, Talbot, Terrey et Teynac ornait mes étagères. 

 

Ces vins nécessitaient pas mal d'années pour devenir réellement buvables mais certains atteignaient alors des complexités et des nuances qui me plaisaient beaucoup. Dans le millésime 1982, par exemple, puis en 1986, on a vraiment eu de belles bouteilles. Chez moi, tout a pris fin en 1990. Je n'ai donc aucune expérience des médocs plus récents, même pas le 2000 tant vanté. Herwig Van Hove, partie pour me faire plaisir, partie pour se moquer de moi, m'a servi à mon insu un Las Cases 1994 en lisière du Bois de Meerdael il y a une paire d'années. J'ai reconnu du cabernet et l'ai trouvé bon. En toute franchise, si les crus classés coûtaient entre 10 et 20 euros TTC pour les particuliers, il n'y aurait rien à redire. Mais les "châteaux" ne pourraient pas développer le lobbying qu'ils déploient. C'est le serpent qui s'attrape la queue, comme en Champagne: c'est la publicité, l'achat des jounalistes spécialisés - soit en espèces soit en les amadouant et les cajôlant - et le sponsoring d'événements gastronomiques et de concours primés qui soutiennent la vente à ces niveaux de prix, et ce sont ces tarifs qui permettent de "sortir" de tels overheads de la trésorerie.

 

Mais revenons à notre petit Saint-Julien. Pour les anecdotes beychevellisantes ("baisse-voile" en guise d'hommage etc ...) allez voir les textes spécialisés. Le millésime 1983, décrié après le très bon 1982, était dur, rugueux, mais pas sans intérêt. D'ailleurs, la "règle des 85 %" (une AOC permet de mélanger 15% d'un autre millésime) a sans doute favorisé l'incorporation d'autre chose aux assemblages. Notre bouteille, de couleur très "vieillie" au débouchage, s'est bien reprise après le carafage. Ces phénomènes rédox continuent de m'émerveiller, même après plus de 50 ans de pratique assidue du vin. Oh, il ne s'agit pas d'un vin suave, de velours et d'arômes à n'en plus finir. Non, mais le cassis tirant sur le cuir du cabernet est encore là - Christine l'a reconnu - et les tannins, présents, tiennent tête aux saveurs et au gras "de cochon" de notre jolie côte de porc, au léger aillage de mes épinards en branche et à la douceur des demoiselles vertes, dont la cocotte à asperges avait adouci le mordant.

 

Un bon petit vin.

 

 

 

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